Récits en contexte de soins

Des patient·e·s, des donneur·euse·s et leurs proches nous racontent leur exp érience de la transplantation.

La Chaire McConnell-Université de Montréal organise des ateliers d’écriture pour des patient·e·s ayant reçu une transplantation, leurs proches et des donneur·euse·s d’organes. Ces participant·e·s sont guidé·e·s dans le processus d’écriture par des écrivain·e·s, des artistes, des doctorant·e·s et des professeur·e·s afin de donner une voix et une forme à leur expérience de la greffe et ainsi prendre la mesure de cette voix à travers l’imagination et la création. Les projets Récits du don et de la vie en contexte de soins et Audace sont nés de cette initiative. Les créations réalisées par les participant·e·s ne doivent pas être reçues comme des témoignages bruts de la transplantation, mais plutôt comme des récits littéraires marqués par cette expérience. Grâce à l’écriture, les participant·e·s entremêlent les fils de la maladie et du soin, du don et de la perte pour réélaborer leur expérience et former ainsi des récits nuancés, riches et diversifiés.

L’inquiétude, Victor Brauner, 1939

Souad Babaamer

Greffée du rein

Ma mère

« Oui, comme c’est beau de retrouver toutes ces choses que nous aimons et apprécions, surtout après la greffe. Car on vit alors une deuxième fois et on est une nouvelle personne, qui essaie de tout apprendre de la vie qu’on nous a donnée, cette vie que nous devons garder, précieusement, pour toujours. »

Boire tout son saoul

« Mon rêve se réalise enfin. Finies les séances de dialyse ! Je pourrai boire toute l’eau dont j’ai envie ; l’eau coulera dans mon corps comme un ruisseau. »

Céline Beaulieu

Greffée du rein

Un cadeau inestimable et libérateur

« Le greffon en souffrance prenait le temps nécessaire pour s’établir. Tout mon corps et toute mon âme l’ont apprivoisé, dorloté, aimé. »

Colette Bérubé

Greffée du foie

Dans mon corps …

« Dans mon corps, avant la greffe du foie, une tornade s’était installée et avait tout bousculé, tout était parti en vrille, la maladie s’installait et je n’avais plus aucun contrôle. Mais seul l’amour des miens résistait et m’a permis de continuer. »

L’attente

« Nous sommes en juillet, un matin, 5h30 et je n’arrive pas à dormir. Je me lève, lasse, la tête lourde, les yeux brûlants du manque de sommeil, ma nuque endolorie par le jeu de mes oreillers inconfortables. Il fait chaud, je suis trempée, je me sers un café et je vais m’asseoir sur la berceuse du patio. Mon chien, Milou, inquiet de ne pas trouver encore son maître ce matin, ne comprend pas ce qui se passe et me tourne autour pour  que je le promène. Je m’en sens incapable. Je l’attache à la corde. Je sais qu’il ne m’écoutera pas si je le laisse libre sur notre vaste terrain. Il fait beau, les fleurs débordent de couleurs, ces fleurs dont Daniel s’occupe méticuleusement, avec tant d’amour. Je dois les arroser. J’espère qu’elles ne vont pas mourir avant qu’il ne revienne. Je les supplie et je leur parle tout doucement de lui. »

André Charbonneau

Donneur vivant d’un rein

La question d’Elsie

« [L]e jour avant la transplantation, en me rendant à l’hôpital, j’ai eu un petit moment difficile dans l’auto. Une peur bleu marine s’est emparée de mon corps. (…) Puis, j’ai pensé à la lumière des beaux yeux de ta mamie et là, tout est devenu calme. »

Une ardente à la mer

« Aye. La bouée est revenue
Coincée entre coque de barque et quai. 
Jus des bras, vent du nord, sangsues, méduses et vagues,
Désert d’une marée montante. »

Paul Cormier

Greffé du rein

Petite musique sur rythme de cœur battant

Récit sonore d’une chirurgie cardiaque dite « à cœur battant », utilisée notamment chez les greffés rénaux. La phrase « Docteur Dô, doué des doigts », fait référence au chirurgien qui a dirigé l’intervention.

Conversation du rein

« [U]n soir, sur l’oreiller, pendant qu’une main caressait la cicatrice récemment libérée de ses agrafes, ton nom a surgi, comme ça, sans raison précise. (…) Il fallait te donner un nom, à cause de l’importance de la transplantation, pour améliorer ma vie et allonger son espérance (et la tienne, par le fait même). Il fallait te nommer pour te souhaiter officiellement la bienvenue dans mon corps. »

Ça va bien aller, de travers

« 6 juin 1960. J’ai huit ans. Je suis à l’Hôpital Maisonneuve, dans une salle d’examen aux murs couleur vomi séché. Je suis familier avec l’hôpital, y étant entré clandestinement à quelques reprises pour visiter mon père mourant. Les visites étaient interdites aux moins de douze ans. »

Denis Cormier-Piché

Greffé du rein

Boutcha, rue Yablunska

C’est comme ça que je meurs

Depuis le 2 mars, les forces russes occupent la ville où je suis né, où j’ai grandi et où je vis, Boutcha, à 30 km au nord-ouest de Kyiv.

À cause de la mobilisation générale, je ne peux plus quitter le pays. Je décide de fuir les attaques à vélo avec mon fidèle berger d’Anatolie, Noé (Noy, Ной). Je ne l’abandonnerai jamais.

Je pars en direction de la ville voisine, Irpine. C’est un jour encore frais de fin mars dans les rues dévastées, envahies de débris et de carcasses de véhicules détruits, et bordées d’immeubles gravement endommagés. Juste avant que l’armée russe ne se retire le 30 mars, j’entends derrière moi, au loin, le grondement des camions et probablement des blindés, qui approchent. Je roule rue Yablunska, je sens le sol trembler. Je me retourne, m’arrête, descends de mon vélo. Je distingue un « Z » peint en blanc, sur les devantures ou les côtés des camions de fusiliers russes motorisés et de plusieurs chars. La colonne de véhicules avance et au moment où ils semblent m’avoir aperçu, ils accélèrent.

Bernard Cyr

Greffé des poumons

La renaissance

« Cette création sonore plonge l’auditeur·rice dans l’expérience acoustique d’un patient en salle de soins intensifs, des premiers moments de sa transplantation pulmonaire jusqu’à sa sortie de la salle d’opération. »

Un concert inoubliable

« Les notes de sa partition s’éclaircissent
Le maestro lui fait signe qu’il peut reprendre la prestation
Paul empoigne son instrument
Entame l’hymne à la joie de la survivance »

Chantal Dahan

Greffée du foie

Nuit blanche Nuit obscure

« Scène 1 : Nuit blanche

Planète Terre, Canada, Québec, Luskville, rue Bradley. Ciel dégagé. 4 degrés Celsius. 16 avril 2022.

22 h : J’avale mes comprimés du coucher : du Prograf pour buter le rejet d’organe et du Seroquel afin de tempérer mon anxiété et de glisser progressivement au pays des songes. Bien adossée contre la pile d’oreillers posés sur mon lit de Princesse au petit pois, je termine mes mots croisés précurseurs de décroisement de pensées envahissantes et ravageuses. Ma boule de poils d’ébène se frotte contre ma joue et réclame ses gâteries nocturnes. »

 »

Claude Daigneault

Greffé des poumons

Les aventures de TiClaude

« Comme tous les pères, j’ai toujours voulu transmettre de bonnes valeurs à ma fille maintenant devenue adolescente. (…) Pour ça, il est important d’établir une bonne communication, mais c’est souvent difficile avec les ados et encore moins facile quand on est limité physiquement par la maladie. (…) J’ai alors eu l’idée de m’intégrer au monde des ados avec SnapChat, leur réseau social préféré. »

La « voix » de la guérison

« Histoire sonore racontant, de façon condensée, le parcours d’un patient, en partant de la maladie qui s’installe, en passant ensuite par la greffe et en finissant par le retour à la vie normale et ce, en se basant uniquement sur les sons représentatifs des émotions perçues et ressenties. »

Laurent Darbouze

En attente d’une greffe de rein

Grandeurs, misères et carpe diem

« La sagesse créole enseigne, d’une part, que le malheur n’avertit pas de son arrivée et, d’autre part, qu’il n’épargne ni les débrouillards ni les vertueux.

Plutôt agnostique, j’avais appris que l’on pouvait être l’artisan de son destin si l’on parvenait à surmonter ses peurs et ses atermoiements. J’étais ainsi rompu dans l’art d’occulter les messages indésirables émanant de mon corps. Cette affection médicale grave et inattendue venait contrecarrer les plans que j’avais patiemment élaborés. »

Louise Delisle

Greffée des poumons

Une araignée dans le plafond

« Je voudrais être en liesse, en accord avec la nature, et je me retrouve avec des pluies d’automne dans l’âme. À quoi ça sert d’avoir reçu en cadeau des poumons tout neufs quand on n’a même pas envie de respirer ? »

Danielle Guénette

Greffée du foie

La nuit de l’encéphalopathie

« J’ouvre les yeux. 

C’est le milieu de la nuit, il me semble. J’ai froid, je pense que j’ai mouillé mon lit. Je refuse de le croire, mon cœur s’emballe, la honte m’assaille. Je me mets en petite boule dans un coin encore sec de ma double couchette, où je dors seule. Je me sens bizarre, envahie par des sensations inconnues, apeurantes qui déferlent en moi avec une vigueur inouïe. Est-ce un rêve ? 

J’ a i   pe u r. »

Catherine Labelle

Greffée des poumons

Entre l’ombre et la lumière

« Je reprends ma route et je vois sous mes yeux, apeurés et tristes, une personne qui est décédée. Au même moment, je vois mes poumons grisâtres changer de couleur. Une lumière rose en émane. »

Martin Laforest

Donneur vivant d’un rein

LE RÊVE – La séparation de jumeaux !

« Des frères jumeaux experts en filtration sont depuis plusieurs années implantés dans une usine [que j’]appelle affectueusement, et pour des raisons personnelles, « Martin». (…) Pendant sa vingt-cinquième et sa vingt-huitième année, cette usine a réussi un tour de force en mettant sur pied deux autres usines, elles aussi pourvues de jumeaux experts en filtration. (…) Cependant, pour des raisons inconnues, la deuxième usine, « Xavier », a connu son lot de péripéties dès les premiers jours de son existence. »

Marie-Claire Lesigne

Greffée du rein

Les saveurs de la vie

« D’abord, elle comprend mal, ses oreilles bourdonnent, elle est trop émotive et entend : « votre nom sorti… chance… dame… Québec… AVC… reins bons… maintenue en vie… » K. prend la relève, lui explique calmement : « Marie-Claire, c’est votre chance unique pour une vie meilleure, il faut la saisir », mais elle reste abasourdie, tellement émue, incapable de réfléchir, de prendre LA décision. »

Plaidoyer pour un don

« Je t’ai souvent parlé en cachette mais aujourd’hui, jour du Souvenir, c’est à ton tour de me parler de cette vie que tu as vécue ailleurs. Raconte-moi, cher petit :

 « C’est bon, je te l’ai promis ce récit mais ce n’est pas facile à raconter en peu de mots … » »

Huguette ma grande sœur, ma robe verte et moi…

« Ce matin-là, c’est avec ma grande sœur que je pars à l’école. Elle est pressée, elle adore tricoter et s’est attardée un peu trop à finir la robe verte que je dois porter pour la fête de l’école. (…) Comme d’habitude, je traîne et ma sœur me menace de partir sans moi tout en m’aidant à m’habiller. »

Chantale Menard

Donneuse vivante d’un rein

Le cadeau

« De toute son existence, elle a toujours voulu être une grande. Tant qu’à être née différente, qu’elle se disait, aussi bien être une grande personne, l’une de celles qui peuvent faire du bien. Elle a réussi, avec ses fils, et voilà que la vie lui donne une seconde chance d’être encore une grande. »

L’amour sous toutes ses formes

« À partir de là, je me suis mise à trouver mon geste moins banal. Je n’avais pas le goût de reculer, j’étais juste un peu plus inquiète. Après un an de tests qui ont permis de confirmer que j’étais en assez bonne santé, nous nous sommes fait opérer. Est-ce que ça fait mal ? Oh que oui !!! Accoucher fait mal aussi, mais ça vaut la peine parce qu’on donne la vie. »