Chantale Menard

Donneuse vivante d’un rein

Le cadeau

Je retourne en 1976 environ et je me souviens de cette petite fille de treize ans qui détestait ce qu’elle percevait du reflet de son miroir. Tout en elle se mélangeait, elle ne comprenait pas qui elle était, ce qu’elle deviendrait, pourquoi elle se sentait différente des autres, pourquoi elle existait. Elle venait d’une grande famille de sept enfants, qui était aussi famille d’accueil pour d’autres enfants qui avaient un parcours plus difficile. Elle se sentait si différente qu’elle croyait venir d’une autre famille, elle aussi. Elle n’en parlait à personne, tout se passait dans sa tête, dans son cœur, dans son âme ! Elle avançait dans la vie avec tous ses démons, qui la pourchassaient continuellement.

Vers l’âge de dix-huit ans, elle n’en put plus, elle s’effondra. Elle se releva très vite parce qu’on lui disait qu’elle était forte, mais elle vieillit avec un grand manque d’estime d’elle-même. Un jour un prince arriva, par un très grand hasard, et lui, il réussit à la faire rêver de nouveau ! Elle crut enfin que c’était possible, que quelqu’un pouvait l’aimer elle, telle qu’elle était, avec tous ses défauts. Le prince arriva dans sa vie et changea ses larmes en rêves : elle avait tellement besoin d’amour ! Doucement il entra dans son âme et elle l’aima, ils s’aimèrent. Deux merveilleux garçons vinrent s’ajouter à son bonheur, de telle sorte qu’il n’y avait plus rien d’autre qui comptait pour elle, seulement ces deux petits êtres pour qui elle aurait donné sa vie. Un soir, elle décida de partir avec ces deux cadeaux, ces deux merveilles. Elle croyait qu’il n’y aurait maintenant qu’eux qui pourraient l’aimer ! Elle était devenue utile pour quelqu’un et elle se donna corps, cœur et âme pour les faire grandir, leur donner confiance en eux, les rendre autonomes.

Voilà, c’est fait. La vie continue, et ils ont de moins en moins besoin d’elle. De toute son existence, elle a toujours voulu être une grande. Tant qu’à être née différente, qu’elle se disait, aussi bien être une grande personne, l’une de celles qui peuvent faire du bien. Elle a réussi, avec ses fils, et voilà que la vie lui donne une seconde chance d’être encore une grande. En lui offrant une santé parfaite, elle peut donner un rein, pour sauver son prince qui lui, l’a sauvée elle, trente ans auparavant… Et qu’ils vivent en bonne santé, jusqu’à la fin des temps !

Merci la vie de m’avoir offert tous ces cadeaux, je t’aime, la vie xx.

L’amour sous toutes ses formes

Un jour, je vais jaser avec mon ex-mari au sujet d’un de nos fils quand, tout à coup, plein d’émotions, il me révèle qu’il a une maladie du rein et qu’il devra éventuellement subir une greffe. Immédiatement, sans réfléchir, je lui dis : je vais t’en donner un rein, moi ! Comme on donne un café ou un cadeau de fête, ça me semblait presque banal. Sept ans plus tard, il est sur la dialyse trois fois par jour et le médecin parle alors de greffe. Je réitère mon offre, lui disant que je vais aller me faire tester s’il le désire et lui demande de s’informer de comment ça fonctionne. Naturellement, il est ému. Nous entamons des tests de compatibilité. Nous n’avons pas le même groupe sanguin, mais heureusement je suis du groupe O et tous les tests arrivent au même résultat : nous sommes compatibles ! Encore à ce moment-là, cette aventure ne m’effraie pas… jusqu’à ce que j’en parle à ma famille, à mes amis, à mon patron… WOWWW panique sur le Titanic !!! « Voyons donc donner un rein à ton EX ! » « Si tes enfants ont besoin d’un rein un jour ? » « Tu sais que c’est BEAUCOUP plus difficile pour le donneur que le receveur ? » « On devrait pouvoir payer une personne dans le besoin pour donner un rein ! » « Vraiment ? Alors ça vaut combien un rein ? » 

À partir de là, je me suis mise à trouver mon geste moins banal. Je n’avais pas le goût de reculer, j’étais juste un peu plus inquiète. Après un an de tests qui ont permis de confirmer que j’étais en assez bonne santé, nous nous sommes fait opérer. Est-ce que ça fait mal ? Oh que oui !!! Accoucher fait mal aussi, mais ça vaut la peine parce qu’on donne la vie. Nous nous portons très bien tous les deux et j’ai compris que l’inquiétude, l’incompréhension et la maladresse des gens face à ce geste d’amour, de générosité et d’humanité, n’étaient en fait que de l’amour à mon égard.

Qu’est-ce que l’amour ?
Un tourbillon de rêves au pays des merveilles,
qui s’échappe, s’enfuit au lever du soleil ?
Un monde un peu fou fait de poésie, 
où pour un rien, on se donne pour la vie ?
Le bonheur d’accueillir tendrement un enfant,
nous permettant de vivre un amour plus que grand ?
La rencontre, le réconfort, la solidarité des amis,
enveloppant, allégeant nos soucis, notre ennui ?
Peut-être de tendre la main à son prochain, 
jusqu’à la force de lui donner un rein.
L’amour c’est tout ça et plus encore.
Vivez, donnez et aimez très fort. ❤️