Colette Bérubé

Greffée du foie

Dans mon corps …

Dans mon corps, avant la greffe du foie, une tornade s’était installée et avait tout bousculé, tout était parti en vrille, la maladie s’installait et je n’avais plus aucun contrôle. Mais seul l’amour des miens résistait et m’a permis de continuer.

Dans mon corps, après la greffe, la vie reprend son cours comme une symphonie composée de grands mouvements à des rythmes différents, mais tous aussi intenses. Un peu comme les Symphonies no 5 ou no 9 de Beethoven, la Symphonie du Destin et l’Hymne à la Joie.

Un nouveau foie m’a été offert généreusement par un inconnu et m’a permis de renaître telles les fleurs de cerisier au printemps, délicates et fragiles dispersant ses pétales pour nourrir et purifier mon corps meurtri.  

À mon réveil, tel un bébé naissant à son premier cri, j’ai respiré et j’ai senti la vie glisser en moi. Et j’ai vu le sourire, la joie, les larmes de bonheur de mon compagnon de vie, mon amoureux (myosotis). Ce fut mon premier éblouissement.  La présence inconditionnelle de mes enfants et de mes vrais amis est un bouquet d’amour et de tendresse, symbole du magnolia.

L’avant et l’après-greffe sont un long combat, comme le coquelicot, cher à mon cœur, qui représente pour moi la fleur du combattant et des souvenirs. La première année de ma guérison m’a demandé de la volonté, de la persistance pour retrouver le rythme de vie quotidienne.  En musique, le rythme doit être maintenu et dirigé par un chef, le cœur. Mon cœur s’emballait et voulait rejeter ce nouvel intrus. La peur, l’incapacité de contrôler, l’affolement s’emparait de moi, j’entendais les battements comme les pas lourds du cheval qui course.

La confusion, les brouillards dans ma tête m’ont le plus effrayé dans cette aventure, et j’ai retrouvé petit à petit la mémoire, l’équilibre, ma personnalité, mes forces physiques et mentales, ma vie… Le harfang des neiges m’inspire beaucoup pour sa clairvoyance, il est le gardien de ma mémoire et de mes connaissances.  Je m’évade avec mes livres pour rêver et je joue du piano pour reconstruire ma vie intérieure et exprimer mes émotions.

Enfin je rêve de me retrouver dans un tableau de Gustave Klimt comme le portrait de Madame Elisabeth Lederer rempli de lumière au milieu d’une forêt silencieuse, sombre et enivrante d’une aquarelle de mon amoureux.

Dans mon corps, j’ai trouvé l’arbre de vie…

L’attente

Nous sommes en juillet, un matin, 5h30 et je n’arrive pas à dormir. Je me lève, lasse, la tête lourde, les yeux brûlants du manque de sommeil, ma nuque endolorie par le jeu de mes oreillers inconfortables. Il fait chaud, je suis trempée, je me sers un café et je vais m’asseoir sur la berceuse du patio. Mon chien, Milou, inquiet de ne pas trouver encore son maître ce matin, ne comprend pas ce qui se passe et me tourne autour pour  que je le promène. Je m’en sens incapable. Je l’attache à la corde. Je sais qu’il ne m’écoutera pas si je le laisse libre sur notre vaste terrain. Il fait beau, les fleurs débordent de couleurs, ces fleurs dont Daniel s’occupe méticuleusement, avec tant d’amour. Je dois les arroser. J’espère qu’elles ne vont pas mourir avant qu’il ne revienne. Je les supplie et je leur parle tout doucement de lui.

Daniel, mon homme, mon compagnon de vie, est actuellement dans un état comateux sous l’effet de fortes doses de morphine. Il y a trois mois, on lui a diagnostiqué un deuxième Lymphome de Type 4 très avancé, une récidive après sept ans. Une autogreffe lui a été suggérée et il a accepté. Greffé de sa moelle osseuse depuis trois jours, il a développé une infection très sérieuse et il a déjà reçu trois antibiotiques différents qui n’ont eu aucun effet. Il en reste un seul, un quatrième, la dernière chance selon le médecin, et on le lui a administré hier soir. Son infirmière, Carole, m’a assuré qu’elle m’appellerait sitôt son réveil… J’attends cet appel.

Mon fils, Étienne, mon beau grand garçon de presque vingt ans, a pris congé pour m’aider, m’a-t-il dit, mais je sais que lui aussi attend un signe de son père. Comme il lui ressemble, les mêmes yeux bleus où j’aime me noyer, la douceur de son regard, la même stature, cette assurance du gardien de nos vies …comme il me manque.  Mon fils se prend un café et vient s’asseoir avec moi. Comment ça va, maman? T’as des nouvelles? Non… Est-ce que Clothilde t’a appelée? Oui, hier soir. Elle sait? Non… Pourquoi? Je veux qu’elle profite de ses dernières vacances en colonie. Elle est tellement heureuse et si jeune. Pourquoi briser son enjouement et ses rêves? Ma Clothilde, ce boute-en-train, et moi, au téléphone hier soir,  Maman!… Bonjour ma mignonnette…Maman, j’ai gagné la course en canot … tu le diras à papa,  dis-lui que je vais pouvoir aller en canot camping avec lui l’an prochain, tu vas lui dire, hein. Et comment va mon papa? … Bien, il a eu un traitement qui va l’aider … Tant mieux, je dois te laisser, on prépare un spectacle pour la veillée, je t’embrasse et gros-gros bisous à papa, n’oublie pas … le canot! Oui, je t’aime, il t’embrasse lui aussi. Étienne se lève lourdement comme s’il portait tout ce fardeau sur ses jeunes épaules et va libérer Milou, notre chien, son chien si fidèle, enjoué, doux et tendre, aux qualités particulières des Esquimaux américains. Il le fait courir et, lui, mon fils si brave, a besoin de respirer un bon coup.

Le téléphone sonne, l’afficheur indique CHUM…. Mon cœur cesse de battre un instant, je tremble, j’ai peur, Étienne revient en courant avec Milou qui ne comprend pas ce brusque arrêt du jeu, Allô,… Bonjour madame, c’est Carole. Je vous l’avais promis. Il s’est réveillé ce matin, il est un peu perdu, perturbé, il ne sait pas ce qui lui est arrivé, mais il est sauvé. Le traitement  fonctionne… C’est une bonne nouvelle, n’est-ce pas? Oui, merci beaucoup, Je vais aller le voir tantôt…. Je raccroche et je pleure. Mon fils, tout tremblant et effrayé, me prend dans ses bras et comme lorsque il était tout petit, je le berce, je flatte tendrement sa tête, mes doigts plongés dans les boucles de ses cheveux, on pleure tous les deux et je lui murmure à l’oreille … Il est sauvé, mon grand…Il est sauvé! Milou nous regarde, les oreilles levées, les yeux brillants, sa queue balayant joyeusement le plancher …. Lui, il sait…. Son maître va revenir.