Laurent Darbouze
En attente d’une greffe de rein
Grandeurs, misères et carpe diem
La béatitude
À l’aube de mes cinquante-quatre ans, je préparais une retraite précoce. J’étais en bonne forme et j’avais, à mon avis, atteint l’apogée de ma carrière professionnelle. J’estimais avoir suffisamment bien gagné ma vie et que c’était le temps de faire les choses qui me fourniraient un supplément d’auto-actualisation. Bref, ayant payé mon tribut à la société, j’étais maintenant en droit de me consacrer tout entier à être heureux. Une année passa, durant laquelle je pris le temps de voyager et de faire, bénévolement, de l’encadrement pour des entreprises en démarrage.
La vulnérabilité
Je commençai à remarquer que mon cœur battait souvent la chamade et que j’avais alors des céphalées incapacitantes. Après consultation médicale, je reçus, tel un coup de massue, un diagnostic d’hypertension probablement due à une dysfonction rénale. Je tentai en vain de comprendre si j’avais transgressé quelque précepte pour que cela m’arrive à moi.
La sagesse créole enseigne, d’une part, que le malheur n’avertit pas de son arrivée et, d’autre part, qu’il n’épargne ni les débrouillards ni les vertueux.
Plutôt agnostique, j’avais appris que l’on pouvait être l’artisan de son destin si l’on parvenait à surmonter ses peurs et ses atermoiements. J’étais ainsi rompu dans l’art d’occulter les messages indésirables émanant de mon corps. Cette affection médicale grave et inattendue venait contrecarrer les plans que j’avais patiemment élaborés.
Il est plutôt contre nature d’accepter l’absurdité de la condition de mortel lorsqu’on a tout misé sur cette existence, et a fortiori, il est particulièrement difficile de reconnaître que nos actions ou nos intentions ne garantissaient pas le bonheur et encore moins une longue vie.
De l’absurde à la responsabilisation
Celui qui n’a jamais souffert d’une affection grave et qui reçoit un diagnostic pouvant conduire à une mort prématurée découvre sur le champ le caractère dérisoire des réalisations qui conféraient un sens à son existence. Il bascule alors dans une révolte métaphysique qui peut conduire à la dépression ou, à tout le moins, embuer sa capacité de jugement. Il ne sortira de cet état qu’en faisant appel à un potentiel inné de refus de la fatalité, à une responsabilisation qui permet à certains de triompher de la fatalité. Le soutien inconditionnel de ses proches aura aussi un effet thérapeutique indéniable.
La prise en charge
Autant le processus de détection avait été labyrinthique, autant la prise en charge, une fois la maladie confirmée, fut d’une efficacité exemplaire et même empreinte d’empathie. À titre d’exemples, je mentionne les points suivants :
- L’accès à une équipe multidisciplinaire qui m’a permis de prendre en compte tous les éléments pouvant contribuer à stabiliser ma condition.
- La disponibilité et le professionnalisme du personnel en cas de problèmes ponctuels.
- L’organisation de groupes de discussion sur le processus de greffe.
J’ai aussi développé, avec le temps, une confiance dans les soins reçus et je me suis concentré sur la contribution que je pouvais apporter pour stabiliser ma condition.
Le don comme preuve d’amour
Je n’ai pas reçu de don à ce jour, mais le plus important, en ce qui me concerne, et même s’ils n’ont pas satisfait les critères de qualification, est que trois de mes frères et sœurs s’étaient portés volontaires. J’ai même une tante octogénaire qui m’a dit qu’elle me donnerait un rein avant de partir. Elle a oublié, la coquine ! Vous devinez, peut-être, qu’entouré de tant d’amour et de sollicitude, chaque jour est une fête.